Impact de l’altération hydrologique sur les écosystèmes aquatiques de montagne dans les Alpes françaises.

Face à un manque de connaissances sur le fonctionnement des écosystèmes aquatiques d’altitude, il devient urgent de caractériser la relation entre les conditions hydrauliques et les organismes aquatiques, en particulier les invertébrés, afin de modéliser et prévoir la réponse des rivières alpines face aux altérations hydrologiques.

Le contexte

Torrent de Crévoux (Hautes-Alpes)
Torrent de Crévoux (Hautes-Alpes)

Les changements climatiques auxquels nous faisons face aujourd’hui sont amplifiés dans les milieux de montagne (MRI, 2015) où ils conduisent notamment à une diminution de la couverture neigeuse et une accélération de la fonte de la cryosphère, modifiant ainsi l’hydrologie des cours d’eau, leur température et les flux de sédiments.

Alimentées à la fois par les eaux souterraines, la pluie, la fonte des neiges et des glaciers, les rivières alpines forment des réseaux hydrographiques complexes au sein des bassins-versants. Cette hétérogénéité environnementale induit la présence d’une biodiversité locale singulière, dont les traits d’histoire de vie (morphologie des organismes aquatiques, mode d’alimentation et système d’attachement) sont reliés aux conditions hydrauliques du milieu (Lamouroux et al., 2004 ; Brown et al., 2018). A l’échelle du bassin-versant, cela induit également une forte variabilité spatiale des communautés de macro-invertébrés (Brown et al., 2007).

Les hydrosystèmes alpins peuvent aussi être altérés par des activités anthropiques, qui s’additionnent aux effets du climat : l’usage des cours d’eau pour l’industrie, l’irrigation, la neige de culture ou l’hydroélectricité menacent l’équilibre et le fonctionnement de ces écosystèmes. En particulier, des dizaines de microcentrales hydroélectriques ont été construites dans les Alpes françaises au cours des dix dernières années. Bien qu’elles soient valorisées pour l’aspect renouvelable de l’énergie produite, les microcentrales hydroélectriques sont susceptibles d’altérer localement le régime hydrologique et d’affecter à plus large échelle l’hétérogénéité environnementale et la connectivité des bassins-versants.

Néanmoins, nous n’avons actuellement pas les connaissances suffisantes sur les mécanismes qui structurent ces écosystèmes complexes pour modéliser la réponse de la biodiversité alpine face aux multiples altérations hydrologiques. Ceci est dû à l’insuffisance de suivi écologique sur le long terme dans les écosystèmes de montagne mais aussi à un manque d’études sur l’impact des altérations hydrologiques sur les communautés aquatiques de montagne.

Microcentrale sur l’Arvan (Saint-Jean-d’Arves, Savoie)

L’objectif principal de cette thèse est donc d’améliorer nos connaissances sur la structure et le fonctionnement des écosystèmes aquatiques de montagne. Plus précisément, il s’agira de caractériser la relation entre les conditions hydrauliques et les communautés de macro-invertébrés, en vue d’évaluer l’impact des altérations hydrologiques sur l’écologie des rivières alpines.

Pour cela, nous disposons de modèles d’habitat hydraulique, en partie développés par l’équipe DYNAM à Irstea. Ces modèles couplent un modèle hydraulique et un modèle biologique. Le premier détermine la distribution des fréquences de vitesse, hauteur d’eau, substrat et contrainte au fond pour une section de cours d’eau en fonction du débit (FSTress – Lamouroux et Statzner, 1992).

Le second traduit les préférences hydrauliques des organismes en estimant la densité des organismes en fonction des micro-habitats hydrauliques (vitesse, hauteur d’eau, substrat et contrainte au fond). Ainsi, le couplage de ces deux types de modèles permet de traduire des modifications hydrologiques, telles que l’altération du débit, en modification de qualité de l’habitat hydraulique pour les organismes, en vue par exemple d’évaluer l’effet d’un ouvrage sur l’état écologique d’un cours d’eau.

Les modèles d’habitat hydraulique existants ont été développés à basse altitude sur des communautés de poissons et macroinvertébrés en rivières de taille moyenne à grande (Dolédec et al., 2007 ; Mérigoux et al., 2009 ; Lamouroux et al., 2013). Il est donc nécessaire d’adapter ces outils aux rivières et communautés aquatiques alpines (essentiellement composées de macro-invertébrés) en prenant en compte les conditions environnementales (e.g. température, conductivité, turbidité) afin de prévoir la réponse des écosystèmes aquatiques de montagne face aux altérations hydrologiques.

Le plan

Mesure de la physico-chimie de l’eau

Dans un premier temps, il s’agira de comprendre quelles conditions environnementales structurent le plus les communautés alpines de macroinvertébrés benthiques à l’échelle du bassin-versant.

Pour cela, le tri et l’identification de plusieurs centaines d’échantillons issus de 3 bassins-versants alpins sont en cours actuellement. Une fois que les liens entre communautés et conditions environnementales seront mieux caractérisés, nous explorerons l’échelle du micro-habitat, et en particulier les relations entre les conditions hydrauliques et les espèces de macroinvertébrés les plus représentatives des cours d’eau alpins.

Cela permettra la création de nouveaux modèles d’habitat adaptés à ce type de rivière, en vue d’évaluer l’impact de l’altération hydrologiques sur les écosystèmes aquatiques, et donc une amélioration de la définition du débit minimum biologique en montagne. Ces nouveaux modèles seront appliqués sur plusieurs microcentrales récentes afin de tester leur validité et leur pertinence.

Juliette a présentée son sujet de thèse sur les ondes dans le Mag’ de RAM Radio Libre mercredi 28 septembre 2019 à 9h et 18h: 
https://www.ram05.fr/wordpress/?s=juliette+becquet&submit=C%27est+parti
Juliette Becquet ; thèse CIFRE 2019 – 2022. Impact de l’altération hydrologique sur les écosystèmes aquatiques de montagne dans les Alpes françaises. Encadrement : Sophie Cauvy-Fraunié, Nicolas Lamouroux (Irstea Lyon, UR RiverLy, équipe DYNAM) et Anne Dos Santos (TEREO).

Références

Brown, L.E., Hannah, D.M., Milner, A.M., 2007. Vulnerability of alpine stream biodiversity to shrinking glaciers and snowpacks. Global Change Biology 13, 958–966.
Brown, L.E., Khamis, K., Wilkes, M., Blaen, P., Brittain, J.E., Carrivick, J.L., Fell, S., Friberg, N., Füreder, L., Gislason, G.M., Hainie, S., Hannah, D.M., James, W.H.M., Lencioni, V., Olafsson, J.S., Robinson, C.T., Saltveit, S.J., Thompson, C., Milner, A.M., 2018. Functional diversity and community assembly of river invertebrates show globally consistent responses to decreasing glacier cover. Nature Ecology & Evolution 2, 325–333.
Dolédec, S., Lamouroux, N., Fuchs, U., Mérigoux, S., 2007. Modelling the hydraulic preferences of benthic macroinvertebrates in small European streams. Freshwater Biology 52, 145–164.
Lamouroux, N., Dolédec, S., Gayraud, S., 2004. Biological traits of stream macroinvertebrate communities: effects of microhabitat, reach, and basin filters. Journal of the North American Benthological Society 23, 449–466.
Lamouroux, N., Mérigoux, S., Dolédec, S., Snelder, T.H., 2013. Transferability of hydraulic preference models for aquatic macroinvertebrates : transferability of hydraulic preferences of invertebrates. River Research and Applications 29, 933–937.
Lamouroux, N., Statzner, B., Fuchs, U., Kohmann, F., Schmedtje, U., 1992. An unconventional approach to modeling spatial and temporal variability of local shear stress in stream segments. Water Resources Research 28, 3251–3258.
Mérigoux, S., Lamouroux, N., Olivier, J.-M., Dolédec, S., 2009. Invertebrate hydraulic preferences and predicted impacts of changes in discharge in a large river. Freshwater Biology 54, 1343–1356.
Mountain Research Initiative EDW Working Group, 2015. Elevation-dependent warming in mountain regions of the world. Nature Climate Change 5, 424–430.