Dans un article précédent, des connaissances générales sur les bryophytes (plus communément appelées mousses) ont été abordées. On présentera ici les enjeux liés aux bryophytes dans les deux principales régions géographiques parcourues par les équipes de Teréo.
Massif armoricain et ses marges
Situé à l’ouest de la France, le Massif armoricain correspond à d’anciennes montagnes qui s’étendent aujourd’hui sur la Bretagne, la Basse-Normandie, les Pays de la Loire et les Deux-Sèvres. D’après la base de données ecalluna du Conservatoire botanique national de Brest, environ 700 taxons de bryophytes au sens large sont connus dans le Massif armoricain, soit approximativement 50% de la bryoflore française. Le climat océanique de la région apporte une humidité atmosphérique élevée répartie de manière hétérogène et plus ou moins constante tout le long de l’année.
Des espèces qui aiment la pluie et les embruns
Plusieurs espèces que l’on rencontre surtout dans cette région de France sont typiquement associées à ces conditions climatiques particulières : Ptychomitrium polyphyllum, Scapania gracilis, Racomitrium obtusum ou Saccogyna viticulosa. D’autres sont spécialisées au climat hyperocéanique et surtout dans les zones où la pluviométrie est la plus élevée : Colura calyptrifolia, Dicranum scottianum ou Pseudomarsupidium decipiens.
Le Massif armoricain est également particulier pour son littoral très découpé avec à certains endroits des hautes falaises maritimes propices au développement d’espèces adaptées à l’exposition aux embruns comme Frullania teneriffae et Schistidium maritimum.
Grâce à ces conditions atmosphériques humides, d’autres espèces pouvant être courantes en montagne ou en dehors du climat océanique sont rares dans le Massif armoricain. Il s’agit par exemple d’Andreaea rothii, d’Aulacomnium androgynum ou de Bazzania trilobata.
Espèces protégées du Massif armoricain
Trois espèces protégées au niveau national sont connues dans le Massif armoricain à savoir la buxbaumie verte (Buxbaumia viridis), la bruchie des Vosges (Bruchia vogesiaca) et la sphaigne de la Pylaie (Sphagnum pylaesii). Cette dernière fait l’objet d’une veille particulière, puisqu’elle est confinée à deux zones géographiques restreintes en Europe : la Basse-Bretagne en France, puis les Asturies et la Galice en Espagne. Elle fait donc partie des espèces à très fort enjeux de conservation dans la région (Durfort, 2016).

Les habitats à fort enjeux de conservation
Parmi les habitats d’intérêt communautaire, certains sont dominés par les mousses. C’est le cas des tourbières acides, dont le fonctionnement hydrologique est dépendant des sphaignes. Ce sont ces dernières qui structurent l’habitat en l’acidifiant, en formant de la tourbe (turfigénèse) et en maintenant l’eau grâce à leur grande capacité de stockage hydrique.
Les dunes grises littorales sont également dominées par des mousses, qui forment des tapis ras, dont la principale Syntrichia ruraliformis. Ces habitats ne sont pas forcément riches et n’accueillent pas nécessairement d’espèces rares, sauf certaines qui sont peu courantes localement telles que Cheilothela chloropus ou Flexitrichum gracile. Les marais arrière-dunaires ne sont pas dominés par les mousses mais peuvent accueillir des espèces rares comme Drepanocladus sendtneri ou Kandaea elodes.
Les plus riches en biodiversité muscicole sont les pierriers, les chaos ou les flancs de falaises dont les communautés varient en fonction de l’ensoleillement, l’hygrométrie ou le degré d’eutrophisation. Ces habitats sont souvent perturbés (chute de pierre, ruissellement rapide de l’eau) pauvres en plantes vasculaires, limitant significativement la compétition et donc favorisant le développement des mousses.
Les hêtraies hyperatlantiques sont caractéristiquement très riches en mousses (en particulier les épiphytes et les épilithes) comme Dicranum majus colorant ces forêts d’un vert abondant. Elles sont surtout localisées dans le Finistère (forêt du Cranou, forêt de Huelgoat) et ailleurs en Grande-Bretagne.

Alpes françaises
Les Alpes françaises (Rhône-Alpes et PACA) sont la région la plus diversifiée en mousse de France, 1165 taxons y sont recensés (soit près de 80% de la bryoflore française), dont 1002 (pour 920 espèces) en Savoie le département le plus documenté (Legland & Garraud, 2018). Cette richesse s’explique d’abord par l’amplitude altitudinale dans les Alpes, qui permet la coexistence d’espèces planitaires à arctico-alpines (Legland, 2020). La diversité géologique est également un facteur important avec la présence de massifs calcaires, cristallins, puis localement du gypse ou des roches riches en métaux lourds, qui offrent une grande variété de pH (Legland, 2020). La variabilité hygrométrique est importante ; le différentiel de pluviométrie permet l’expression des tourbières dans les massifs plus arrosés (Préalpes, Lauzière) aux pelouses steppiques dans les vallées internes (Maurienne, Romanche) (Legland, 2020).
Un nombre élevé d’espèces rares
La diversité d’habitats qui existe dans les Alpes permet d’accueillir de nombreuses espèces, dont plusieurs ne sont connues nulle part ailleurs en France comme Gymnomitrion commutatum, Jungermannia borealis ou Pterygoneuron subsessile (Celle et al., 2023). Globalement toutes les espèces arctico-boréales associées aux milieux de haute altitude sont restreintes à cette région en France (ou avec les Pyrénées et/ou le Massif central). La plupart des espèces patrimoniales poussent dans des conditions spécifiques comme Crossocalyx hallerianum sur le bois pourrissant dans des ambiances humides, Haplomitrium hookeri sur des sols humides érodés au bord de ruisseau ou de marais d’altitude, puis Tetraplodon mnioides sur les excréments de renard.
La partie sud des alpes en climat méditerranéen permet le développement d’espèces méditerranéennes et thermophiles comme Gongylanthus ericetorum ou Fabronia pusilla.
Sept espèces protégées en France sont connues sur ce territoire : la buxbaumie verte (Buxbaumia viridis), la dicrane verte (Dicranum viride), l’hypne brillante (Hamatocaulis vernicosus), la grimaldie rupestre (Mannia triandra), l’orthotric de roger (Orthotrichum rogeri), la pyramidule tetragone (Pyramidula tetragona) et la riccie de Breidler (Riccia breidleri) qui est endémique des Alpes, elle pousse sur la vase exondée acide dans les zones de battement des eaux des lacs alpins. La meesie à longue soie (Meesia longiseta), inscrite dans l’annexe I de la directive habitat faune-flore, est historiquement connue dans les Alpes, mais elle est considérée comme éteinte puisqu’elle n’y a pas été retrouvée depuis le début du XXème siècle (Legland & Garraud, 2018).

Une grande diversité d’habitats bryophytiques
Les sources pétrifiantes sont dominées par des mousses (Cratoneurion), qui se développent sur des édifices tufeux issus de la précipitation du bicarbonate de calcium (Ca [HCO3]2) en carbonate de calcium (CaCO3). Dans ce système, les communautés de mousses participent à la fixation des cristaux et donc à la turfigénèse.
Tout comme dans le Massif armoricain, on peut trouver des tourbières à sphaigne dans les massifs cristallins des alpes. En revanche dans les massifs calcaires peuvent être rencontrés des tourbières alcalines dont l’activité turfigène provient d’autres mousses telles que Campylium stellatum, Scorpidium cossonii ou le rare Drepanocladus turgescens en moyenne montagne.

Les falaises et les éboulis très fréquents en montagne sont des habitats d’intérêt communautaire où les mousses sont particulièrement abondantes, du fait qu’ils s’effritent ou bougent, permettant leur recolonisation.
Enfin les étages altitudinaux les plus élevés, où la couverture neigeuse se maintient longtemps, sont dominées par des végétations bryo-lichéniques très résistantes au froid, notamment dans les combes à neige.

Un groupe qui reste mal connu
Malgré les gros efforts de prospection actuels des bryophytes dans ces deux régions. Les connaissances restent encore lacunaires, en particulier dans le Massif armoricain, où le nombre de prospecteurs est faible et où la répartition des relevés est très hétérogène puisqu’ils ont été réalisés dans les « hotspots » comme les monts d’Arrée par exemple. Dans le massif des Alpes, ce sont surtout les Alpes-de-Haute-Provence qui souffre de ce manque de prospection.

Merci à Yves LONGEOT d’avoir pris le temps de relire la partie des Alpes françaises !
Thomas BEGOC
Et pour aller plus loin …
Celle J., Gourvil J., Amblard P., Bailly G., Bardet O., Bernard E., Borgomano S., Burkhart J-A., Cartier D., Cléré E., Debay P., Dupré R., Filoche S., Greffier B., Hauguel J-C., Infante Sanchez M., Kerinec P., Labroche A., Lecron J-M., Legland T., Masson G., Offerhaus B., Prey T., 2024. Atlas des bryophytes de France métropolitaine par départements. Office français de la biodiversité, Conservatoires botaniques nationaux, 1429 p.
Durfort J., 2016. La Sphaigne de La Pylaie (Sphagnum pylaesii Brid.). E.R.I.C.A. 29 : 57-70 p.
Legland T. & Garraud L., 2018. Mousses et hépatiques des Alpes françaises. Etat des connaissances, atlas, espèces protégées. Conservatoire botanique national alpin, 240p
Legland, T., 2020. La bryoflore savoyarde, état des connaissances – 2020. Observatoire de la biodiversité de Savoie. https://www.biodiversite-savoie.org/ressources/documents/cbna_bryoflore_2020
